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TEXTE DE PAULINE LISOWSKI
> Anne Houel, construction/déconstruction et archéologie des villes

Anne Houel s’intéresse à la mémoire des sites, aux espaces en creux ainsi qu’aux points névralgiques des architectures et travaille aussi bien à l’échelle de la maquette qu’à l’échelle des espaces urbains. Elle puise son inspiration dans les territoires où elle est amenée à créer.

Elle prend le temps de comprendre le passé d’un territoire en s’attachant au patrimoine et compose avec les matériaux qu’elle trouve sur place. Souvent, il lui arrive de concevoir des œuvres contextuelles et à l’échelle d’un lieu. Elle collecte des fragments d’architectures provenant des espaces en friche ou en transition qu’elle explore, geste qui a donné naissance aux pièces Ammonites, constituées d’éléments emballés dans du géotextile afin de « renfermer l’histoire ».

Son attention pour les fragments d’architectures et les villes reconstruites l’a amenée aux dé-constructions qui s’opèrent dans le paysage actuel. Elle se demande où sont emmenés les gravats issus des chantiers de démolitions et comment donner un temps d’existence à ce qui est en cours de disparition.

Sa sculpture itinérante Cultures en est un exemple. Cette serre contient des matières récupérées qui témoignent de la mémoire d’une ville. À chaque installation, elle comporte une typologie de gravats qui incarne l’histoire. La végétation se développe à l’intérieur de cette ruine reconstituée, telle la reconquête de la nature sur l’industrie de la construction. Plusieurs temporalités se superposent, ancien et nouveau bâti, ce que l’on conserve et ce que l’on démolit.

L’artiste prend la posture de l’archéologue, en fouillant par exemple dans les archives des villes, elle recherche des traces de bâtiments disparus et recueille des images. Sur des vitres, ses Mise à jour sont des dessins éphémères au blanc de Meudon, matière que suggère le chantier en cours. Ils représentent des bâtiments disparus ou abandonnés dans un paysage quasi désertique. Ses œuvres visibles depuis la rue, dont la temporalité rappelle la construction – déconstruction, sont une réminiscence de l’histoire du territoire.

Elle utilise aussi des matériaux évoquant la disparition comme la cendre au sein de dessins ou encore des objets devenus obsolètes comme les encyclopédies. Les collections encyclopédiques Time Life, autour du monde et Panorama Mondial sont fouillées et creusées à l’aide de la gouge, elle fait apparaître des strates temporelles imagées, qui renvoient aux topographies et à la géologie du paysage.

Dans sa série Percées, elle se ré-approprie l’encyclopédie Alpina illustrant le patrimoine de la ville de Paris en inventant une autre technique, qui consiste à faire surgir des blocs en béton géométriques à l’intérieur d’images de la ville ancienne.

Dans la continuité de son approche archéologique, elle s’intéresse aux vestiges témoignant de l’histoire. Ses œuvres sur papier Bunker archéologie réalisées à l’aide de ciment et de vernis anti-rouille dépeignent des constructions incarnant la résistance face au temps. Ses sculptures Tobrouk figent dans le béton le volume interne de bunkers individuels. Ce procédé d’empreintes condamne ainsi les espaces et génère des monolithes de béton qui rendent visible un répertoire de formes énigmatiques.

Afin de révéler les formes typiques des bâtiments dans les espaces urbains, elle détourne les outils de l’architecte. En s’intéressant à l’Architectographe, règle utilisée à la fois par les enfants et les architectes, elle trace des dessins de bâtiments célèbres des grands noms de l’architecture et réalise sa série Le jeune architecte. Avec cet outil, l’artiste plasticienne poursuit sa réflexion sur les transformations des territoires et sur les manières de les comprendre. Elle mène des reportages photographiques en observant les façades des villes et effectue ensuite un relevé de formes pour recréer l’Architectographe du paysage actuel qui permette de retrouver l’identité des villes par des éléments témoins de périodes architecturales. Ce projet au long cours nous incite à réfléchir à la standardisation des constructions dans différentes communes. Les paysages urbains devenant tellement ressemblant, il apparait désormais difficile de percevoir les particularités des territoires d’une ville à une autre. Telle est l’analyse que soulève cette œuvre in process.

Anne Houel collabore avec différents participants, enfants par exemple, les invitant à transmettre leur vision de la ville dans laquelle elle est en résidence. Pour l’installation 30 tonnes de table, elle a invité des participants à construire des châteaux de sable à partir de jardinières en plastique. Cette œuvre qui nous replonge dans une posture de l’enfance rend visible de façon ludique les processus d’aménagement et de reconstruction des villes, en évolution constante.

Elle approfondit ses réflexions sur les manières de construire ainsi que sur les éléments qui fondent l’histoire et les particularités d’une ville avec l’installation Pondeuses. Cette œuvre fait écho aux machines qui fabriquent les parpaings et renvoie à la culture de masse. À l’intérieur des parpaings, des maisons en céramique, cuites au feu de bois, semblent se ressembler alors qu’elles présentent chacune des différences. Anne Houel nous conduit alors à réfléchir au devenir de la construction standard qui se multiplie dans les villes.

Ses œuvres in situ ont parfois pour vocation d’être habitées et utilisées par les passants, usagers, habitués des lieux. Certaines de ses sculptures rappellent les jeux, les cabanes, les attitudes d’enfants. Container, sculpture-mobilier s’apparente à une coupe de bâtiment A,A’ , fabriquée en béton, ardoise et granit, en écho au lycée qui se trouve derrière. Elle contient la mémoire formelle et matérielle de cet établissement.

Ainsi, les enjeux liés au bâti, aux ruines, à la construction qui bouleverse le paysage urbain sont récurrents dans son travail artistique. À travers un répertoire formel et matériel elle met en évidence la fragilité ou la pérennité des architectures. Ses œuvres témoignent de la transformation des villes, de leur cycle perpétuel de déconstruction / reconstruction.

PAULINE LISOWSKI - avril 2021